En Orient les surprises des Occidentaux sont souvent assez grandes, il ne faut donc pas s'étonner qu'en Extrême-Orient elles soient parfois extrêmes.
« Comment trouvez-vous notre région?
C’est magnifique, répondis-je, le Pakistan est vraiment un beau pays.
On n’est pas au Pakistan, ici, c’est la vallée de Hunza!, répondit, cinglant, mon interlocuteur ».
Mosaïque de peuples, jeune pays encore et toujours traumatisé (avec l’Inde) par la douloureuse partition de 1947, le Pakistan reste à la recherche de son identité et continue d’alimenter les fantasmes de l'Ouest. Il n’est, pour s’en rendre compte, que d’ouvrir un journal. Puissance nucléaire au carrefour des influences du bouddhisme, de l’Islam et de l’hindouisme, entre route de la soie et sous-continent indien, le Pakistan se retrouve propulsé sur le devant de la scène, grâce à la guerre contre le terrorisme de Georges W. Bush tout d’abord, puis du fait des liens troubles que l’Etat entretient avec les Talibans, ou, plus récemment, avec l’assassinat de Benazir Bhutto. L’été 2010, le Pakistan restait sur l’arrière scène de l’actualité, jouissant d’une paradoxale couverture médiatique sur l’absence de couverture médiatique de l’un des sinistres les plus importants de son histoire. Autrement dit la destination rêvée pour un « intrepide trekker » (l’expression est de compagnons Pakistanais !) à la découverte de paysages à couper le souffle, d'un peuple d'une extrême gentillesse... et pris dans la tourmente d'un voyage improvisé au cœur des montagnes de l'Himalaya, sur fond de ramadan dans un des pays les plus religieux au monde, et d'inondations les plus dévastatrices de son histoire.
Animé par la volonté de me frotter aux treks les plus impressionnants de la planète (camp de base du K2, glacier Baltoro…), et surpris par les dramatiques inondations survenues seulement quelques jours précédant mon voyage, je me retrouve au nord du pays en ce mois d'aout 2010, sur la célèbre Karakoram Highway (KKH). Cette route construite avec l’aide de la Chine voisine court de la capitale Islamabad jusqu'à la ville chinoise de Kashgar sur près de 1500 km, en longeant l'impressionnant fleuve Indus, rendu encore plus impressionnant par les inondations et la fonte des nombreux glaciers de cette zone extrêmement montagneuse. Parachuté dans cette inhospitalière vallée de Hunza, je plante alors le décor : toutes les voies de communications terrestres sont coupées, et par conséquent l’approvisionnement en nourriture et carburant où, pour couronner le tout en cette période de ramadan, une menace diffuse plane sur nos têtes : la KKH est en effet coupée au niveau de la ville de Gulmit, suite au gigantesque effondrement d’une montagne qui a obstrué cette haute vallée et provoqué la formation en amont d’un immense barrage. A la faveur de la fonte des neiges, très abondantes dans cette région dominée par des sommets de plus de 7000m, le lac Attabad s’est inexorablement développé, engloutissant plusieurs villages pour s’étendre finalement sur 32 km de longueur et 100m de profondeur ! Les quelques 20 000 villageois déplacés, et les journalistes à leur suite n’ont pas tardés à surnommer ce barrage improvisé « le lac du désespoir ». On comprend mieux pourquoi lorsqu’on prend conscience que la rupture du fragile éboulis ou son érosion pourrait provoquer une inondation catastrophique sur 400km de vallée on ne peut plus étroite. Autrement dit, un volume d’eau de l’envergure du lac d'Annecy était littéralement sur le point de déborder au-dessus de nos têtes, et je guettais la nuit parmi les constants bruits de chutes de pierres ce grondement sourd et annonciateur d’une catastrophe qui ne vint pourtant jamais. Le lac du désespoir bloque toujours cette importante artère commerciale qu’est la KKH et son imposant trafic de camions chamarrés. Les autorités pakistanaises comme chinoises sont dépassées et peinent à s’entendre malgré l’entente cordiale qui prévaut entre les deux pays. La Chine voit son expansionnisme commercial et stratégique stoppé net au Pakistan par cet improbable barrage, le gouvernement pakistanais local a totalement sous-estimé la catastrophe mais souhaite sauver les apparences, malgré une situation rapidement devenue incontrôlable, avec des villageois qui menacent d’effectuer eux-mêmes la vidange du lac (sic !), des interventions aux explosifs dont on a pu mesurer de visu l’amateurisme et la dangerosité, la disparition de la route d’un des plus hauts cols routiers du monde, et des scenarii tous plus insensés les uns que les autres : un autoproclamé « expert en catastrophe » m’interrogeait ainsi sur la pertinence ou non de conserver le lac « pour raison touristique » ! Pour l’heure le contournement du lac est rendu impossible par le relief escarpé des falaises qui l’encadrent et la traversée surréaliste en bac conduit à évoluer dans cet environnement lunaire et minéral au-dessus de ponts engloutis dont on devine les contours à plusieurs mètres de profondeur sous les eaux bleues d’Attabad.
Alors qu’on parle de deux ans de travaux pour résorber le lac, le sort s’acharne avec la destruction par les inondations de plusieurs centrales électriques qui a plongé une partie de la région dans le noir. L’hiver, particulièrement rigoureux dans cette zone montagneuse, se profile pourtant à grands pas. Je décidai pour ma part après des jours éprouvants dans le secteur de m’octroyer un peu de répit en me rendant dans l’ouest du pays dans la ville de Peshawar ou je ne tardai pas à être accueilli par des salves de kalachnikov alors que les Talibans de ces zones tribales prenaient d’assaut le consulat américain voisin de mon hôtel…mais c’est là une tout autre histoire !
Une impressionnante vidéo montre la route vers la Chine et le lac Attabad au début de sa formation